Côte d'Ivoire/ Charles Blé Goudé : la prudence comme boussole, au risque du silence complice

Rédigé par Junior Gnapié le Vendredi 11 Juillet 2025 à 19:16 | Lu 32 fois


Dans un entretien accordé à Guillaume Vergès, publié ce vendredi 11 juillet 2025 sur les réseaux sociaux, Charles Blé Goudé, président du COJEP, plaide pour un dialogue inclusif et apaisé avec le pouvoir. Mais face à un régime Ouattara qui verrouille le jeu électoral, et alors que l’opposition tente péniblement de retrouver une cohérence politique, sa posture, volontairement modérée, interroge. S’agit-il d’un calcul tactique ou d’un renoncement ?


Blé Goudé Charles, président du COJEP
 



Dans la vidéo de 2min, Blé Goudé adopte un ton résolument mesuré. Il évite toute accusation directe contre Alassane Ouattara, malgré l’impasse politique actuelle :

« Depuis des mois, toute l’opposition dit à Monsieur Alassane Ouattara : on veut aller à la table des négociations, et jusque-là, rien. Mais dites-le, assumez-le... Ce n’est pas à moi de le dire. »

Refusant de qualifier le chef de l’État de « mauvaise foi », il explique vouloir « créer un environnement psychologique » favorable au dialogue, préférant taire les responsabilités pour ne pas « braquer » son interlocuteur. Ce positionnement, qu’il présente comme une stratégie de résolution des conflits, suscite toutefois un malaise : au moment où la démocratie ivoirienne vacille, cette neutralité pourrait passer pour une forme de complaisance.
 
Depuis la disparition d’Henri Konan Bédié en 2023, l’opposition ivoirienne peine à retrouver sa colonne vertébrale. La CAP-CI (Coalition pour l’Alternance Pacifique en Côte d’Ivoire), formée le 10 mars 2025, qui tentait de structurer une convergence, a perdu en dynamisme, plombée par un front commun PDCI-PPA-CI signé le jeudi 19 juin dernier. Les fractures qui traversent l’opposition sont profondes.

Dans ce contexte, la stratégie attentiste de Blé Goudé, qui refuse d’associer clairement le président Ouattara au blocage démocratique, apparaît de plus en plus isolée. D’autant plus que, comme Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, il a été radié des listes électorales sans explication crédible, dans ce que beaucoup considèrent comme une instrumentalisation manifeste de la CEI.
À gauche, le Front Populaire Ivoirien reste divisé. Pascal Affi N’Guessan, après la rupture de son partenariat avec le RHDP, tente de se repositionner comme une force d’opposition crédible. Il a récemment dénoncé la gouvernance autoritaire du régime et appelé à des élections inclusives.
Mais ce discours se heurte à la désunion de l’opposition d’une part, et à la confusion idéologique de son propre parti d’autre part. Le groupe dirigé par Issiaka Sangaré, porteur de la tendance « démocratie et valeurs », affirme ouvertement sa proximité avec le RHDP, brouillant le message du FPI et vidant de sa substance l’opposition que tente de reconstituer Affi.
 
Blé Goudé affirme que sa démarche relève de la « gestion des conflits ». Il dit vouloir ménager le pouvoir pour « créer les conditions d’un dialogue ». Mais cette approche prudente, qui pouvait se comprendre à son retour d’exil, devient problématique quand elle vire à l’inaction ou à l’ambiguïté. Alors qu’il est lui-même radié des listes électorales, il se refuse à condamner un processus électoral sélectif et antidémocratique.
Ce discours de Blé Goudé semble trahir une contradiction interne : prétendre à une ambition politique nationale sans s’opposer clairement à un régime jugé autoritaire. À vouloir incarner un opposant responsable, il finit par apparaître comme un acteur neutralisé, politiquement inoffensif. Une situation qui inquiète jusqu’au sein de ses rares soutiens, pour qui cette prudence pourrait le disqualifier d’avance pour toute future candidature crédible.

Alors que le pays se dirige vers un scrutin verrouillé, marqué par l’exclusion de figures de premier plan, le refus de Blé Goudé d’entrer dans le dur du débat démocratique combiné à sa situation administrative floue et sa radiation, fragilise son image. À force de prêcher la paix sans désigner les fauteurs d’obstruction, il risque de passer pour un observateur prudent plutôt qu’un acteur engagé. Dans un pays où l’opposition se cherche, son silence pourrait signer son effacement.

Junior Gnapié

Source : Entretien vidéo entre Charles Blé Goudé et Guillaume Vergès - actupeople


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