La Côte d’Ivoire s’apprête à organiser une élection présidentielle en octobre 2025.A quelques mois de cette échéance censée marquer une étape de maturité démocratique, les signaux d’alerte clignotent de toutes parts. L’histoire semble tragiquement se répéter : exclusions arbitraires, institution électorale inféodée, manœuvres pour s’éterniser au pouvoir… autant de symptômes d’une démocratie confisquée, où le jeu électoral devient une mécanique d’exclusion et de frustration.
L’exclusion des candidats : un coup porté à la crédibilité du scrutin
Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam, Blé Goudé Charles, Soro Guillaume, exclus !
Parmi ces exclus, les cas des figures majeures de la vie politique nationale comme Laurent Gbagbo, acteur historique de la politique ivoirienne, et Tidjane Thiam, symbole d'une alternative crédible et moderne, compromettent sérieusement l’équilibre du processus électoral. Derrière des prétextes juridiques souvent contestables, c’est bien une volonté politique qui transparaît : celle de verrouiller le débat et de neutraliser tout risque d’alternance.
Or, dans un contexte encore marqué par les blessures ouvertes de la crise de 2010, une telle approche ne peut qu'attiser frustrations et colères. Elle réduit dangereusement l’espace démocratique et installe l’idée que l’élection ne sera qu’une formalité de validation du pouvoir en place.
Une CEI décrédibilisée et responsable par avance
La Commission Électorale Indépendante, dont le rôle devrait être celui d’un arbitre impartial, s’est discréditée en refusant obstinément de prendre en compte les critiques pourtant étayées de l’opposition et de la société civile. Face aux dénonciations d’irrégularités massives sur la liste électorale, la Commission Électorale Indépendante reste de marbre.
La liste électorale, minée par des anomalies manifestes, est maintenue en l’état, malgré les risques énormes que cela fait peser sur la sincérité du scrutin.
En persistant dans cette voie, la CEI accepte de devenir une partie du problème. Elle sera dans ce contexte responsable des conséquences politiques et sociales d’un scrutin dont la légitimité sera contestée dès la proclamation des résultats.
Ce n’est pas seulement un manquement à la neutralité, c’est une trahison du peuple.
La tentation du pouvoir : un quatrième mandat dangereux
Après trois mandats — trois ! — Alassane Ouattara veut encore s'accrocher au pouvoir à la demande de ses partisans. À 83 ans !
Si Alassane Ouattara accepte au congrès du RHDP de juin 2025, de briguer un quatrième mandat, ce ne sera pas seulement une violation de l'esprit de la Constitution, mais une faute politique majeure. Dans un contexte sous régional où les coups d’État institutionnels sont devenus une mode tragique, cette obstination viendra alimenter un climat délétère, accroître la méfiance populaire et nourrir l’instabilité.
Lui, Alassane Ouattara, qui a l’occasion d’entrer dans l’Histoire par une sortie honorable risque désormais d’y figurer pour avoir alimenté les germes de la discorde.
Une crise larvée, un terrain miné pour l’explosion sociale
La Côte d’Ivoire passe allègrement d’un pays stable vers une poudrière où les manifestations « interdites », et les « menaces » à peine voilée du porte-parole du pouvoir, réduisent les espaces d’expression et renforcent la colère d’une opposition en quête de justice et de dignité. Les appels à la mobilisation risquent de se multiplier et pourraient échapper au contrôle des forces de sécurité qui devront faire face à opposition aux mains nues.
Si le pouvoir continue à jouer avec le feu, il ne faudra pas s'étonner de voir le pays basculer dans une nouvelle crise, dont nul ne peut prédire l’issue.
Un contexte social inflammable donc, sur fond d’injustices électorales devient un cocktail dangereux. La Côte d’Ivoire a déjà trop souffert de crises post-électorales ; elle ne résisterait pas à une nouvelle onde de choc.
La menace au nord : un autre front négligé
Pendant que le pouvoir concentre ses énergies à verrouiller Abidjan, la partie nord du pays fait face à l’insécurité. En effet, les groupes djihadistes, de plus en plus présents aux frontières maliennes et burkinabè, pourraient exploiter la désespérance locale pour étendre leur influence.
Une élection contestée, et une société fracturée constitueraient le terreau parfait pour un effondrement sécuritaire.
Une réconciliation ratée
Tout ceci n’aurait peut-être pas eu lieu si une véritable politique de réconciliation avait été menée depuis 2011, comme le Front Populaire (FPI) et son président Affi N’Guessan n’ont eu de cesse de le marteler en faisant même des propositions au pouvoir, et en allant signer un partenariat avec le pouvoir des Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP).
Au lieu de réparer les injustices, de reconnaître toutes les victimes et d’inclure tous les acteurs dans un dialogue sincère, le pouvoir a préféré imposer une lecture univoque de l’histoire récente. Résultat : la société ivoirienne reste divisée, les ressentiments intacts, la confiance brisée.
Un choix urgent : le courage ou l'abîme
Il est encore temps d’éviter le pire. Mais cela exige du courage politique, un geste fort : rétablir l’équité du processus électoral, nettoyer les irrégularités, ouvrir la compétition à tous les acteurs politiques majeurs, écouter la voix du peuple. L’histoire jugera sévèrement ceux qui auront ignoré les signaux d’alerte.
Car en Côte d’Ivoire, ce qui est en jeu aujourd'hui n'est pas seulement une élection. C’est la survie même de la nation démocratique.
La Côte d’Ivoire mérite mieux que ce triste spectacle. Elle mérite une vraie démocratie.
Junior Gnapié