Cette faillite française – le rapport Duclert la décrit très bien – a été favorisée par une folie institutionnelle : le présidentialisme, au contact duquel tout contre-pouvoir est appelé, à un moment ou un autre, à s’agenouiller.
Le rapport Duclert dit avoir même découvert dans les archives de l’État des « pratiques irrégulières d’administration, de chaînes parallèles de communication et même de commandement, de contournement des règles d’engagement et des procédures légales », mais aussi des « actes d’intimidation » et des « entreprises d’éviction de responsables ou d’agents » qui avaient osé défendre, sur le Rwanda, une pensée dissidente de celle de François Mitterrand et de ses proches. Ceux-là étaient diplomates, généraux, agents secrets ou ministres. Ils ne furent jamais entendus et furent parfois même marginalisés face à la loi d’airain de la Ve République.
Comment est-il dès lors possible que toutes ces vérités de fait sur les « responsabilités accablantes » de la France face à un génocide ne provoquent pas non seulement un immense débat national, mais aussi un profond examen de conscience de la gauche et de tous les partis qui s’en réclament aujourd’hui ? On ne parle pas ici d’un fait divers, d’un projet de loi contesté ou d’une petite phrase politicienne.
On parle d’un génocide.
« Un génocide sous sa forme la plus pure », selon les mots de l’historien américain Raul Hilberg, qui a consacré les dernières pages de son œuvre phare, La Destruction des Juifs d’Europe (Gallimard), au génocide des Tutsis.
Il y a pire que l’ignorance : faire semblant de ne pas voir. Depuis la remise du rapport Duclert et le discours d’Emmanuel Macron, il y a eu quelques messages timides (par exemple la demi-phrase d’Olivier Faure, patron du PS, sur Twitter) ou des communiqués pour le moins ambigus (comme celui cosigné par Jean-Luc Mélenchon et Bastien Lachaud, de LFI), qui ne semblent pas exclure que les Tutsis aient pu être à l’origine de l’attentat qui a déclenché leur propre génocide en avril 1994.
Et sinon, beaucoup de silence. On n’a entendu que cela, le silence.
Comme si notre responsabilité face à un génocide ne réclamait pas de mettre sur pause le cirque de notre époque, de sortir du huis clos du quotidien sans passé et de regarder, enfin, l’Histoire en face.
Ils sont rares ceux qui semblent avoir pris la pleine mesure de ce qui se joue, comme l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, les porte-parole écologistes Éva Sas et Alain Coulombel, ou la députée insoumise Clémentine Autain.
« Le silence qui a entouré la remise du rapport Duclert, puis le service minimum à l’occasion de la visite et du discours d’Emmanuel Macron n’ont fait que confirmer un problème vieux de 27 ans », confie à Mediapart Raphaël Glucksmann, infatigable défenseur d’une lucidité française face à nos responsabilités au Rwanda, qui avait dû essuyer en 2019 la vindicte de 23 anciens ministres socialistes pour des propos tenus sur Mitterrand et le Rwanda.
« Il y a, poursuit Glucksmann, la gêne, la culpabilité, la lâcheté, l’indifférence aussi qui se mêlent et produisent cette aphonie sidérante. La figure de Mitterrand est un élément central. Il est encore aujourd’hui une icône pour beaucoup, un père spirituel pour certains. Toucher à Mitterrand, c’est entacher la dernière grande victoire de la gauche, la dernière victoire qui avait une dimension épique. Ministre de l’intérieur et de la justice au moment de la guerre d’Algérie, président au moment du génocide des Tutsis : tant que Mitterrand est la figure tutélaire d’une grande partie de la gauche, nous aurons droit à cette gêne. »
« Au-delà de Mitterrand, il y a aussi une incompréhension profonde de ce qui se joue dans cette histoire rwandaise de la France. La gauche a-t-elle encore le sens de l’Histoire ? Parvient-elle à établir une hiérarchie entre un génocide et la multitude des événements qui font l’actualité des commentateurs politiques ? Bref, cette séquence m’interroge très profondément. Je me demande parfois si j’habite le même espace-temps que les gens que je fréquente », se désole l’eurodéputé.